Deux jours plus tard. Les bandits sont de retour, seuls au salon, une boite à trésor entre les mains de Sofia, qui à genoux au milieu de la scène, s'apprête à l'ouvrir.

SOFIA. Zut, c'est coincé ... Passe-moi le burin !

MAX'. On va pas l'ouvrir ici ! Si on se fait pincer, on est cuit !

SOFIA. Oh! la barbe, tu commences à me raser ! Passe-moi le burin, j"te dis !

MAX. (S'exécutant) Ben, j'espère qu't'as eu le nez creux* cette fois, sinon, ça va pas être la java, on aura plus qu'à se faire la paire !

SOFIA. Tais-toi, sac d'embrouilles ! Tu me donnes de l'urticaire (Elle essaye d'ouvrir la boite)

MAX. (S'excitant) Bon, ça va ! Ah! il me fait marrer Léon ! Le grand Léon la Malice ! ' DU BEURRE DANS LES EPINARDS qu'il disait, hein ? Avec sa manie de rien laisser perdre, on va se retrouver en taule, c'est moi.qui t'le dis

SOFIA. N'empêche que c'est un vrai cald, Léon ! Un dur de dur ! Alors que toi, t'es qu'une chiffe molle, même pas fichu de réparer la guimbarde, y'a-fallu en rafler une autre ...

MAX. Ouais, ben si c'était pas pour revenir jouer les Ricains dans cette bicoque, j'me serais déjà tiré avec mon oseille, moi, M'selle Sofia ! Des pépettes, on en a assez pour se la couler douce jusqu'à la fin de nos jours ! Ça fait un bout de temps qu'on se glandouille, j'te demande pourquoi ?

SOFIA. (Qui a réussi à ouvrir le coffre ... en sort une magnifique boite à bijoux) Pourquoi 7 Mais... pour ÇA, mon Coco ! Regarde un peu (elle se frotte les mains)... dis-moi que j'ai pas la berlue ! Pince-moi ... Allez, pince-moi ! (Hurlant) Plus f ort ! (Max la pince) AYe ! tu m'as fait mal, imbécile

MAX. Faudrait savoir !

SOFIA. (Toujours à genoux, sort de la boite un paquet de bijoux et dit en même temps avec une petite voix inhabituelle) Cest-y pas joli, ça, hein ? ... Oh! que c'est joli tout ça

Max essaie de toucher.

SOFIA. (Auss!tôt lui tape sur la main) Bas les pattes! TOUCHE pas à mon beefsteak !

MAX. (Surpris) Ton beefsteak ? Non, mais ... eh ! je REVE ou quoi ? (puis sur un ton genre Gabin) Y'a des convenances à respecter tout de même ! V'là que ça lui monte à la tête maintenant ! MADEMOISELLE veut faire bande à part ! (reprenant tout à coup un ton normal, avec une petite voix) Alors là, je suis soufflé ! C'est pas réglo, pas réglo du tout !

SOFIA. Chut ! (mettant le paquet de bijoux sous zes narines) Laisse-moi renifler (Elle renifle) Hum ... quel parfum ! Et quel éclat ! (Elle se passe le tas de bijoux sur le cou, se câline avec) Et dire que ce trésor n'attendait que moi pour sortir de l'ombre .... (Tenant le tas de bijoux entre les deux mains devant elle) Je suis venue et je t'ai trouvé ! ... (lentement) Tu m'appartiens !

MAX. Mais, elle déraille, ma parole !

SOFIA. (Lentement, comme récitant) Oh! obscurité ! Tu t'es révélée à moi dans toute ta splendeur ! ... Tu m'as livré ton secret !... Impuissante devant tant de beauté, je frémis à ton contact et je pleure à ta vue des larmes de diamants qui n'en finiront pas de m'éblouir ! ... (Elle pleure de joie)

MAX. (Bébête) Quoi ? Qu'est-ce qu'elle dit là ? ... j'ai pas bien compris !

SOFIA. (Reprenant ses esprits) Au lieu de faire l'andouille, passe-moi plutôt un tire-jus !

MAX. Un tire quoi?

SOFIA. Jus. Un mouchoir, si tu préfères !

MAX. Ah! Fallait le dire tout de suite ! (Il sort un mouchoir de sa poche et le lui tend).

Sofia se mouche bruyamment pendant que Nax se bouche les oreilles.

SOFIA. Dans le fond, t'es un bon zigue Max. C'est vrai ! T'es pas très éveillé, mais t'es pas bien méchant non plus ! Alors, si tu veux mon avis, on se partage le trésor tous les deux et après on se tire chacun de son côté ! Qu'est que ça vaut ?

MAX. Quoi 7 Mais t'es complètement dingue ! Et Léon, qu'est-ce qu'il devient dans tout ça ? Et le magot du hold-up ? on s'est mouillé comme les autres, on a droit à notre part aussi

SOFIA. Notre,part, notre part ... faut tout de même pas oublier qu'on est quatre à avoir fait le coup ! Y'a aussi Bouboule et il a un flingue ... et même si Léon a les éponges trouées aux mites# il est pas prêt de trépasser .... Et quand il aura fait le partage et tout le tintouin, on recevra plus qu'un petit quart ! En plus, c'est du tout frais et le tout frais, ça sent mauvais, faut le recycler. Alors que ça, c'est autre chose !

MAX. Mais on peut tout de même pas le laisser tomber comme ça

SOFIA. Ce que tu peux être nalf, mon pote! Tu crois qu'il se gênerait lui, s'il était à notre place ? Réfléchis ! Entre retourner làbas pour se faire pincer par les flics qui sont peut-être déjà sur le terrain et se tirer avec ça TOUT DE SUITE, moi j'hésite pas, je prends et je me tire ! (Elle prend la botte sous le bras et fait mine de s'en aller) Alors tu viens ?

Au même moment arrive Hélène qui n' est toujours au courant de rien.

HELENE. Encore vous ! Je vous croyais partis

Sofia sort un revolver de sa poche, le dirige contre Hélène qui ne comprend pas ce qu'il lui arrive...

SOFIA. Pas un geste ... et il ne vous arrivera rien

HELENE. (Outrée) Oh! Comment osez-vous ? Après tout ce que j 'ai fait pour vous : je vous ai hébergés, nourris pendant plusieurs jours, croyant que vous étiez des amis de Julien et vous n'êtes ... (prête à pleurer) vous n'êtes que de vulgaires truands !

Sofia pose le trésor par terre et tire Hélène par le bras et la bascule sur une chaise se trouvant à proximité.

SOFIA. Par ici, la mère Latrouille, tu vas rester tranquille, hein ? Max ! Apporte une corde, on va la ligoter, c'est plus prudent (Max fouille dans son sac de matériel) Alors, ça vient ? .... (Max sort un paquet de corde entremêlée; il défait les noeuds.)

HELENE. Mais, qui êtes-vous exactement ? Et que veniez-vous faire dans ma maison ?


SOFIA. (Montrant le trésor avec son pied tout en gardant le revolver braqué sur Hélène) On est venu chercher ça ! Et tu sais ce que c'est ? Regarde ! ... (elle ouvre la boite toujours du pied) Ça t'épate, hein ?

HELENE. Des bijoux ! Des dizaines de bijoux ! Mais ... ils ne sont pas à moi .... où les avez-vous trouvés ?

SOFIA. Ah,'ça !

Max apporte la corde.

SOFIA. Vite, ligote-la, qu'on en finisse !....Allez, plus vite que ça !

HELENE. (Gigotant) Vous me faites mal, voyou !

MAX. Désolé, c'est le métier qui rentre

SOFIA. Assez de parlote, on est pressé ! Allez, allez ...

Quand Max a fini de la ligoter, Sofia prend le mouchoir dans lequel elle s'était mouchée auparavant et l'enfonce dans la bouche d'Hélène qui se débat et se tortille comme un ver, en faisant hum, hum, hum ...

SOFIA. Là ! Comme ça tu vas la boucler (A Max : ) Tiens, range-moi ce flingue, on va se tirer d'ici ! Max prend le revolver et le met dans sa poche.

Sofia se baisse pour ramasser le trésor, lorsqu'apparait LUCIE, toujours dans un état second, une poupée dans lesbras.

MAX. (Qui, d'un geste rapide, ressort son revolver et le braque contre Lucie qui ne réagit pas) Manquait plus que celle-là !

SOFIA. Oh! v'là le zombie ... (Puis haussant les épaules) Laisse tomber Tu sais bien qu'elle est devenue folle, elle ferait pas de mal à une mouche !

Lucie continue son chemin tranquillement, se dirigeant vers les escaliers, alors que les truands l'observent un court instant, puis elle disparaît à l'étage. Max remet le revolver dans sa poche et ramasse son sac.

SOFIA. Bon, cette fois faut y aller avant que toute la smalah débarque On va pas rester une minute de plus dans cette souricière !

Elle se baisse à nouveau pour ramasser le trésor, mais n'en a pas le temps, car aussitât arrivent l'inspecteur Labric, Pierre et Régine. L'inspecteur tient un revolver dans les mains et le braque contre les truands.

LABRIC. Haut les mains ! Vous êtes en état d'arrestation !

Max lève les mains, mais Sofia essaie de s'échapper par la porte de la cuisine. Pierre la rattrape, l'inspecteur le suit ... Profitant de la confusion, Max ressort son revolver et prend Régine en otage.

MAX. Lâchez-la et laissez-nous filer, sans quoi, je ne réponds de rien ...

Pierre lâche Sofia qui court vers Max.

MAX. (A l'inspecteur) Le revolver ! Donnez-moi votre revolver !

LABRIC. Venez donc le chercher !

MAX. (D'un signe de tête, il fait comprendre à Sofia d'aller chercher le revolver de l'inspecteur : ) SOFIA !

Sofia s'approche de l'inspecteur; entre-temps Max est dos tourné à la porte d'entrée, tenant toujours la voisine en otage. Au moment OÙ Sofia veut prendre le revolver, l'inspecteur le lance par terre ... Sofia se baisse pour le ramasser, mais n'en a pas le temps, car oh! surprise Julien apparait braquant aussi un revolver sur la tempe de Max qu'il surprend par derrière ...

JULIEN. Ne bougez pas ! ou je réduis votre petit copain en purée

L'inspecteur ramasse son revolver. Pierre se dirige vers Hélène pour la libérer; il lui enlève tout d'abord le mouchoir de la bouche et aussitôt elle s'écrie :

HELENE. Julien ! Mon petit Julien ! ... (Et pendant que Pierre la détache, elle dit encore : ) Vous êtes revenu pour nous sauver la vie

Julien qui a pris le revolver de Max 'et qui l'a mis dans sa poche, tire Max par une oreille et l'amène vers Sofia.

JULIEN. Tenez inspecteur ! Je vous rends l'autre moitié ! (,Puis il va aider Pierre à détacher Hélène).

L'inspecteur sort une paire de menottes et les met à Sofia.

LABRIC. Alors, ma belle, déjà l'ennui de ta cellule ?

Sofia lui crache au visage. L'inspecteur s'essuie calmement et sort l'autre paire de menottes et les passe à Max.

LABRIC. Quant à toi, le polyglotte, tu pourras te replonger dans tes manuels de langues étrangères ! Après l'américain, qu'est-ce que tu vas apprendre ? Le russe ? (Max hausse les épaules).

Hélène, libérée, embrasse son beau-fils.

HELENE. Inspecteur, comment avez-vous su ...

LABRIC. C'est une longue histoire ... Eh bien voilà : ces deux malfaiteurs (désignant Sofia et Max) qui se faisaient passer pour des amis de Julien, ne sont autres que de petits truands que la prison n'a pas suffi à remettre sur le bon chemin.

PIERRE. En effet ! Vous vous souvenez du hold-up de la Banque Nationale, il y a de cela ... deux semaines et demie passées ! C'était dans tous les journaux ! Huit millions de francs dérobés en plein jour !

LABRIC. Un des bandits tire sur un policier et le blesse mortellement ...

HELENE. C'est . . . c'est lui ? (Désignant Max)

REGINE. Non Hélène, rassurez-vous; ce n'est pas lui qui a tiré, c'est son complice, l'homme pour lequel ils sont ici tous les deux

HELENE. Je ne comprends pas !

LABRIC. Oui, Léon La Malice ! Un homme dangereux, capable du pire et qui n'hésite pas à tirer sur n'importe qui pour arriver à ses fins ! Après 15 ans de prison, il est mis en liberté provisoire, il ne lui restait plus que deux ans à tirer. Au lieu de rentrer sagement au bercail, il réintègre le milieu de la pègre et met sur pied ce fameux hold-up.

HELENE. Mais ... et ces deux-là ?

JULIEN. Ces deux-là, comme vous dites, ne sont que de pauvres pions manipulés par cet assassin ...

LABRIC. (S'approchant de Sofia, lui arrache d'un coup sec sa perruque ... ) Sofia PALAZZI, dite Sofia La Rousse, ancienne prostituée, ramassée sur le macadam ... (puis il se dirige vers Max) Lui, c'est Max RICARDOU, dit le RIC, coffré pour escroquerie et vol à la tire; ex-amant de la rouquine et maquereau à ses heures ... Ils se sont rencontrés à Marseille, il y a.quelques années.

PIERRE. Sortis à peine de prison, ils avaient besoin d'argent. Ils se sont mis à retrouver d'anciennes relations et de fil en aiguille, sont arrivés jusqu'à Léon la Malice !

REGINE. Qui leur a proposé ce hold-up ...

JULIEN. Oui, mais ce n'est pas tout ! Léon, avant son arrestation de mai soixante-treize, avait cambriolé, toujours à l'aide de complices, une célèbre bijouterie à cannes et il avait eu le temps de planquer son magot !

HELENE. Où ça ?

LABRIC. (Fort) ICI !

HELENE. Ici ?

LABRIC. Oui, dans cette maison qui était leur repaire, leur lieu de rencontre ...

HELENE. (Choquée) Dans cette maison ? Mais c'est affreux ! ... J'ai acheté un ancien repaire de bandits ! Ce n'est pas possible La personne qui m'a vendu cette propriété était une personne ... honorable, célèbre notaire connu dans toute la région ...

JULIEN. Célèbre et connu, mais néanmoins sans scrupules ... Il était bel et bien le propriétaire de cette maison, mais il la louait à des malfrats de tous genres !

HELENE. Je n'arrive pas à y croire ! Tout cela me dépasse complètement! Pendant treize ans j'ai vécu dans cette maison sans me douter de quoi que ce soit ... et, comble de surprise, j'ai hébergé chez moi des bandits qui auraient pu me tuer à tout instant !

MAX. On vous aurait pas tuer, c'était juste pour vous faire peur !

SOFIA. Tout ça c'est de ta faute, andouille, tu m'avais dit qu'elle était chez sa manucure ...

MAX.. Ah ? Ben ... j'ai dû mal comprendre

L'inspecteur empoigne les deux lascars par le collet et hop! les embarque pour le panier à salade.

LABRIC. Par ici vous deux ! Pour les remords, c'est un peu tard Vous aurez tout le temps de méditer sur votre sort en prison Allez, ouste ! Dans la fourgonnette !

* sous entendu : du flair.
# sous entendu : la tuberculose.