(Acte I, scène 1)
La Cure!
Décor sobre, une
table de bois massif, un vaisselier, une bibliothèque, le
téléphone et un crucifix accroché au mur. Une porte d'entrée,
une porte donnant sur le couloir, une autre sur la cuisine.
L'abbé du village est en train de lire la bible, il est
installé, en équilibre sur les pieds arrières d'une chaise,
ses pieds sur la table.
La soutane largement ouverte laisse entrevoir une paire de short
à fleurs. Il est pieds nus dans ses baskets.
On sonne à la porte, il sursaute, se réajuste, joint les mains
et ouvre.
Sur le pas de la porte, apparaît Maurice en chaise roulante,
poussée par Françoise.
MAURICE: Salut vieille branche!
ALAIN: Maurice, quel plaisir de te voir. (Ils se serrent la
main). Entrez, entrez!
(Ils entrent, Françoise poussant la chaise roulante.)
FRANÇOISE: (Découvrant l'endroit)- Superbe, le clergé
est bien installé!
ALAIN: Oui, l'évêché a fait rénover la cure il y a six mois.
FRANÇOISE: (Faisant mine de l'embrasser) - Je peux?
ALAIN: (Il regarde à gauche, à droite)- Oui, bien
sûr!
FRANÇOISE: (Lui sautant au cou)- Bonjour mon chéri.
ALAIN: Bonjour Françoise ! Tu es magnifique. Avez-vous fait
bonne route?
MAURICE: Facile, j'ai dormi durant tout le trajet, il se trouve
qu'avec Françoise au volant, ça baigne.
FRANÇOISE: Dis plutôt que ça ronfle!
ALAIN: Je vois. Cela confirme, s'il le fallait encore, que les
femmes sont des as du volant.
FRANÇOISE: Toi non plus tu n'as pas de problèmes, tu te portes
bien. Quelle ligne, pas mal le mec! (Elle le prend par la
taille)
ALAIN: Heu...Pas "le mec", l'abbé, s'il te plaît. Et
puis, Maurice, tu peux aussi laisser tomber le "vieille
branche" en parlant de moi...surtout devant mes paroissiens.
FRANÇOISE: Hum... En tout cas, j'entrerais bien dans les ordres,
moi!
MAURICE: Hé! Vous deux. Faut pas exagérer. Et moi?
FRANÇOISE: Sois pas jaloux, toi!
ALAIN: Il faut bien que je profite un peu de ma petite soeur.
MAURICE: Parce que je ne peux pas t'en empêcher physiquement,
hein !
ALAIN: (Rieur)- J'allais le dire. (Sérieux)
Mais non, je plaisantais. Au fait, raconte-moi, comment est-ce
arrivé?
MAURICE: Françoise et moi, eh bien...
ALAIN: Mais non, ça je le sais. Mais tu n'es pas arrivé dans
cette chaise roulante par hasard. Ton stupide accident, raconte!
FRANÇOISE: Bon! Je l'ai déjà entendu cent fois, je préfère
ranger les bagages,(En sortant, à Alain)... C'est... La
chambre "rose"?
ALAIN: Oui, bien sûr, depuis la rénovation de l'abbaye et la
suppression des cellules des moines, nous sommes presque un
hôtel ici. (A Françoise déjà sortie) - Tu es dans un
ancien monastère, alors évite d'appeler cela la "chambre
rose". (A Maurice) Alors, Françoise m'a dit au
téléphone que c'est arrivé au foot? Le football, notre grande
passion de l'époque, il y a déjà de cela...
MAURICE: Quelques années, pas plus et je n'ai jamais
complètement arrêté.
ALAIN: Au foot, les accidents sont rares. Tu ne t'es tout de
même pas fait cela tout seul?
MAURICE: Non. C'est la faute à un attaquant de l'équipe
adverse. Tu sais ce que c'est, tu sais comment je joue...
ALAIN: Ah, ça oui, une vraie teigne! Mais tu dois jouer en
vétéran maintenant?
MAURICE: D'abord, je suis trop vieux pour les vétérans, ce qui
ne change rien au fait que j'adore ce jeu. Rien de tel qu'une
partie de foot pour se défoncer! Non, je joue dans un
mini-championnat interentreprises, des matchs exhibition en
quelque sorte et fais-moi confiance, c'est sérieux. Le club
gagnant jouera une sorte de finale au parc des princes contre le
variété-club, tu te rends compte!
ALAIN: Oui, mais ce n'est plus aussi disputé qu'autrefois.
MAURICE: Tu crois ça ! Mais mon pauvre vieux, tous ces chefs
d'entreprise ou directeurs de PME sont pires que les autres,
c'est une question d'honneur. C'est comme s'ils n'avaient jamais
perdu un match de leur vie. Et quand leurs enfants sont dans le
public, ils sont intenables...Tu te rends compte, jouer devant
leurs enfants! A qui ils ont dit qu'ils étaient les meilleurs
pendant des années, à qui ils doivent montrer l'exemple. Et
quand ce n'est pas leurs enfants, c'est... Leurs...(Geste
évocateur de leurs maîtresses)
ALAIN: Leurs ?
MAURICE: Oui, bon ...Disons leurs petites amies, si tu savais.
Bref, on est presque dans une église. Je ne vais pas te
raconter. Enfin, la partie était animée. Et...
ALAIN: Et même pour un match exhibition, c'était la foire
d'empoigne.
MAURICE: C'est ça ! Et puis, comme tu le devines, je joue
toujours arrière latéral. Ce jour-là, je devais surveiller une
sorte de "Cantona", véloce et nerveux comme un
élastique.
ALAIN: Tu lui tenais la culotte, quoi!
MAURICE: C'est le genre de type à qui il ne faut pas laisser une
seule seconde de tout le match, l'impression qu'il pourrait
partir seul au but. Sinon...Et en plus, cela faisait un moment
qu'il me cherchait. Tu sais bien que quand je marque un ailier,
j'ai horreur d'être provoqué.
ALAIN: Ce n'était pas plutôt toi qui le taquinais?
MAURICE: Que veux-tu, c'est le jeu. (Il explique avec force
gestes). Il a piqué sur le centre , je lui ai barré la
route du goal et alors qu'il allait me passer, on s'est accroché
par les bras. J'ai chuté tout tordu et il m'est tombé dessus...
J'ai entendu mes vertèbres craquer !
ALAIN: (Un silence) - Il paraît qu'il n'y a pas de
fracture.
MAURICE: Non! Heureusement, une fissure tout au plus...
Paraît-il...Mais après quelques instants, je ne pouvais plus
bouger les jambes... Et depuis...
ALAIN: S'il n'y a rien de cassé, c'est une question de temps. Tu
ne vas tout de même pas déprimer et...
Au grand étonnement de Maurice, une porte du vaisselier
s'ouvre toute seule, laissant apparaître une bouteille de cognac
à peine dissimulée.
ALAIN: Ne fais pas attention, c'est le meuble qui est mal calé.
MAURICE: Ah!